Les lois naturelles de l’enfant – Céline Alvarez

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Bonjour! Cette semaine, je vais vous présenter un livre que j’ai dévoré à l’automne dernier, et qui m’a donné envie de changer d’école. Je rêve de trouver une école “Alvarez” pour mes garçons. Un lieu où ils puissent être libres d’apprendre, de toucher, d’expérimenter, de ressentir; dans la paix, la bienveillance, le respect et la coopération. Au lieu d’être contraints d’ingurgiter des savoirs pré-formatés, dans des temps pré-définis, sans cesse jugés et évalués, toujours en compétition avec leurs camarades.

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Alors oui, l’école (privée) de mes enfants est plutôt meilleure que d’autres. Le personnel encadrant est très à l’écoute, de nombreux projets sont mis en place, notamment avec des temps en “familles” qui regroupent des enfants de tous les âges de la petite section au CM2; et ils ont la chance d’apprendre l’anglais, par des anglophones, dès la petite section.

Mais la lecture de cet ouvrage m’a ouvert les yeux sur ce que les enfants sont capables de faire lorsqu’on suit simplement “les lois naturelles de l’enfant”. Ce n’est pas si compliqué à mettre en place… Et c’est tellement plus gratifiant pour l’enseignant! Alors pourquoi n’est-ce pas généralisé?

Je forme le vœu ici que cet article puisse atteindre les “têtes pensantes” pour que l’école puisse vraiment enfin enseigner des savoirs aux enfants, dans tous les domaines (les arts, la relation à l’autre, le respect de la nature aussi bien que les sciences, les maths et le français), en véritable coopération, au lieu de les formater à rechercher la note et donc l’appréciation de l’autre…

 

1. Et si nous repensions l’école à partir des lois naturelles de l’apprentissage?

Voilà tout le propos du livre. L’auteure part d’un constat inacceptable, celui que dans l’école de la république, 4 écoliers sur 10, soit 300 000 élèves, sortent chaque année du CM2 avec de graves lacunes (rapport de 2007, confirmé en 2012, du Haut Conseil de l’éducation). 40% !!!!! Si une industrie produisait 40% de produits non conformes à l’attendu, il y a longtemps qu’elle aurait modifié son process de fabrication!

Céline Alvarez pose alors le postulat que les enfants sont naturellement câblés pour apprendre facilement et rapidement, pour peu qu’on ne les en empêche pas par la mise en place du cadre rigide de l’école “standard”.

Ainsi, l’école veut leur enseigner les 3 vertus de la république d’une manière bien incongrue:

  • la liberté, en leur imposant dès la maternelle les volontés des adultes, et en cherchant à les rendre dociles et soumis
  • l’égalité, dans un système scolaire des plus inégalitaires qui soit, selon les études PISA
  • la fraternité, enfin, en les séparant dès 3 ans par classe d’âge, en les privant ainsi d’échanges variés et stimulants avec des enfants plus âgés, et en favorisant la compétition plutôt que la coopération

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photo falco/Pixabay

Face à ce constat, et à la lumière des récentes avancées en neuroscience sur le développement du cerveau de l’enfant, Céline Alvarez a souhaité mener une expérience en conditions réelles, dans une classe de 25 enfants de 3 à 5 ans appartenant à une zone classée “éducation prioritaire” et “plan violence”, à Gennevilliers. Le ministère lui donna 3 ans, et accepta son idée de mesurer les progrès des enfants au fur et à mesure.

Elle eut la possibilité d’organiser l’espace de la classe comme elle l’entendait, avec du matériel issu de la pédagogie Montessori, en vue de favoriser l’autonomie de l’enfant dans ses apprentissages, et eut également la possibilité de choisir la personne qui allait l’accompagner: Anna Bisch, autodidacte passionnée d’éducation, qui prit le rôle de l’ATSEM.

Les résultats furent étonnants: à l’issue de la première année, tous les élèves, sauf un (qui avait été aussi l’enfant le plus absent dans l’année), ont montré des progressions supérieures, voire très supérieures à la norme. Certains avaient au départ un retard important de plusieurs mois voire plusieurs années sur la norme, et l’ont rattrapée voire dépassée. La plupart des enfants de 4 ans étaient entrés dans la lecture.

Du côté des parents, ils notaient des enfants plus calmes, plus autonomes, faisant preuve d’auto-discipline et de bienveillance spontanée envers les autres enfants.

A l’issue de la deuxième année, les élèves de grande section présentaient des résultats en compréhension de texte écrit similaires à des élèves moyens de CE1. Quant à l’épreuve de décision numérique orale, ils atteignaient un niveau de CE2!

En fin de troisième année, malgré ces résultats époustouflants, et au grand dam des parents, le ministère confirma la fin de l’expérimentation. Le matériel fut retiré, et les enfants à nouveau répartis par classe d’âge, dans des classes différentes. Céline Alvarez décida donc de faire connaître, via un blog d’abord, puis par la rédaction de ce livre, les outils qu’elle avait mis en place, afin que son expérience puisse servir à d’autres enseignants désireux de tenter une expérience similaire dans leur école.

De nombreux enseignants, ravis par ce partage, ont ainsi modifié leur pratique, et témoignent de leur bonheur de l’avoir fait dans des courriers dont l’auteure nous livre quelques passages.

Voici ces outils, ces lois naturelles de l’apprentissage chez l’enfant.

 

2. L’intelligence plastique de l’être humain

2.1. La plasticité cérébrale

Toutes les larves d’abeilles sont génétiquement destinées à devenir de petites ouvrières. Mais si l’on nourrit l’une d’entre elles avec de la gelée royale, elle devient reine.

Chez les humains, l’environnement pèse également beaucoup plus lourd que les gènes dans la détermination de nos capacités intellectuelles et sociales, ou de notre santé: nourriture, interactions sociales, activité physique…

La raison principale en est que le bébé naît avec 200 milliards de neurones, mais très peu de connexions. C’est grâce aux interactions qu’il aura avec son environnement, que ces connexions vont se faire et se défaire au gré de ses apprentissages (700 à 1000 nouvelles connexions chaque seconde de 0 à 5 ans!). Cette grande plasticité du cerveau permet à l’être humain d’évoluer rapidement, et de s’adapter avec une facilité déconcertante. Elle assure également au bébé une aisance dans ses apprentissages, qui s’impriment en lui au fur et à mesure que son cerveau finit de se construire.

Cette construction du cerveau passe par des périodes que Maria Montessori nommait “sensibles”, plus propices à certains apprentissages, où les capacités d’intégration d’une compétence spécifique sont décuplées.

Ainsi, l’acquisition du langage ne nécessite aucun”effort” de la part de l’enfant, du moment qu’il est baigné dans un bain de langue riche et variée de sa naissance jusqu’à l’âge de 3 ans environ. Une étude a ainsi montré qu’à 3 ans, 86 à 98% des mots utilisés par les enfants sont directement issus du vocabulaire de leurs parents. Cette étude montre également qu’à 4 ans, les enfants issus de milieux favorisés ont entendu quelque 30 millions de mots de plus que leurs camarades issus de milieux moins favorisés. Or le niveau de langage oral à 3 ans prédit efficacement les capacités de lecture à 5 ans et la compréhension de textes à 8 ans.

“Les premières années de vie construisent les fondations de l’intelligence, et la qualité de ces fondations est conditionnée par l’environnement”, écrit Céline Alvarez. Pour développer son intelligence, l’enfant a besoin d’explorer, de toucher, d’expérimenter. Chaque fois que nous l’entravons (“ne touche pas à ça”, “reste-là”, “assieds-toi”…), nous limitons son potentiel.

Au contraire, chaque fois que nous le laissons libre de son exploration, son cerveau crée des connexions, des milliards de connexions, qui lui permettent d’apprendre et d’enregistrer. Le cerveau de l’enfant est câblé pour apprendre! La plasticité cérébrale, qui est maximale jusqu’à 5 ans environ, diminue ensuite progressivement jusqu’à la puberté, où elle chute brutalement, sans jamais disparaître totalement. Même un adulte dispose d’une certaine plasticité cérébrale!

De 0 à 2 ans, un bébé n’a besoin que d’attention, d’amour, et de lien humain. Une expérience a montré qu’à 4 mois, en seulement 15 minutes, un bébé peut détecter si une phrase est syntaxiquement correcte ou non. C’est parce que son cerveau est câblé pour extraire les règles implicites du monde qui l’entoure simplement en l’observant par tous ses sens, et notamment du langage, simplement en nous écoutant parler. Pour enseigner une langue étrangère à un petit enfant, il “suffit” donc de créer des conditions d’immersion (avec des personnes réelles, pas des écrans!).

L’intelligence de l’enfant se structure également par nos comportements. Il intègre, sans aucun filtre, les comportements “normaux” en côtoyant les adultes qui l’entourent. Les adultes qui entourent les enfants ont donc l’immense responsabilité de la façon dont leur cerveau va se construire. Si nous voulons que notre enfant s’exprime joliment, qu’il ait des gestes délicats et harmonieux, ou encore qu’il fasse preuve d’empathie, il faut le faire soi-même en sa présence.

 

Une grande exigence envers l’enfant commence donc par une grande exigence envers soi-même. Ainsi, lors de ces 3 ans, Céline Alvarez et Anna Bisch ont pris grand soin d’utiliser un vocabulaire riche, varié, de limiter l’usage de mots comme “chose”, “truc”, ou “ça”, et d’enrichir leurs phrases tout en respectant les règles de grammaire (pas d’omission des négations, pas de raccourcis langagiers). En retour, elles exigeaient des enfants qu’ils utilisent un langage précis, élaboré et  soutenu, vigilance d’autant plus importante que leur niveau de langage global initial était très pauvre. Ce ne fut pas chose facile, mais en quelques mois, ils étaient passés de “Céline… Yassin i m’fait chier” à “Céline, Victor me dérange, je lui ai dit plusieurs fois mais il ne m’écoute pas, il continue, tu peux lui dire d’arrêter s’il te plaît?”. C’était une grande victoire car la structuration de leur langage était le signe d’une structuration de leur cerveau et de leurs pensées.

De même, comme elles cherchaient à créer une ambiance calme et apaisée, elles veillaient à se déplacer avec calme et à parler à voix basse. Lorsqu’un enfant parlait trop fort, elles prenaient la peine de s’approcher de lui sans précipitation, pour lui rappeler d’une voix posée et apaisante qu’il devait parler un peu moins fort. Lorsque trop d’enfants s’agitaient, ce qui est arrivé souvent lors des premiers mois de la première année, les enfants étaient regroupés en cercle pour pratiquer des exercices d’attention et de relaxation.

De nombreuses activités variées étaient proposées aux enfants, individuellement ou en petit groupe. L’information était ensuite “diffusée” entre les enfants, ceux qui avaient déjà bénéficié d’une présentation étant ravis de montrer aux plus petits. Cette diffusion du savoir entre les enfants est liée à la fascination qu’un enfant de 5 ans exerce sur un petit de 3 ans, et à l’enthousiasme spontané à vouloir aider ceux qui en ont besoin. Les échanges entre les enfants étaient permanents, leurs apprentissages étaient donc nombreux et variés. Et surtout rapides, bien plus que dans une classe qui ne comporte qu’un seul enseignant officiel, et où les échanges entre les enfants sont interdits.

 

2.2. Les lois naturelles de l’apprentissage

a) L’action au cœur de l’apprentissage

Comme on l’a vu, un bébé arrive, très tôt, à extraire les grandes lois physiques, grammaticales et relationnelles de son environnement. Cela est dû à la capacité de son cerveau, soumis à un grand nombre d’expériences, d’en extraire des probabilités. A force d’observer les objets tomber, le bébé “sait” que le prochain objet lancé en l’air va tomber. Et si ce n’est pas le cas, il va chercher à comprendre ce qui a pu causer cette irrégularité, prêt à ajuster sa connaissance à ce nouvel élément. Cet élan d’exploration que l’on nomme aussi curiosité est ce qui permet à l’enfant de structurer son intelligence.

C’est ce qui pousse les enfants à répéter un geste, à reproduire un évènement nouveau, pour pouvoir mieux en définir les règles grâce à la probabilité. Chaque fois que l’enfant fait preuve de curiosité, qu’il teste pour intégrer une éventuelle relation de cause à effet, son cerveau est inondé de dopamine, une hormone du bien-être, qui active également les circuits de la mémoire. Ainsi, c’est lorsqu’il fait preuve d’entrain, de curiosité, d’enthousiasme, que l’enfant a les meilleures chances de retenir ce qu’il est en train d’expérimenter.

L’être humain apprend donc par ses expériences actives en étant engagé, en faisant des prédictions, et en étant en mesure de les vérifier immédiatement: si la prédiction était bonne, elle se renforce, sinon, une autre prédiction se forme. Un enfant apprend en faisant, pas en écoutant.

enfant joue

photo vargazs/Pixabay

b) L’étayage par l’adulte

Toutefois, et c’est là tout le paradoxe, un enfant doit être aidé pour apprendre de façon optimale. De nombreuses études ont ainsi montré que les méthodes laissant l’enfant totalement libre de découvrir seuls les règles qui gouvernent un domaine, comme la programmation informatique, le principe alphabétique ou les mathématiques, ne sont pas efficaces. L’enfant éprouve de grandes difficultés à apprendre, il “patauge” et apprend par conséquent de manière bien moins efficace. Ces méthodes sont donc à proscrire.

L’enfant a besoin de la guidance d’un autre plus avancé que lui, qui puisse lui indiquer les éléments importants à observer et à prendre en compte pour évoluer.

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photo Mojpe/Pixabay

Il est intéressant de constater que si le bébé est naturellement câblé pour apprendre, l’adulte est quant à lui naturellement câblé pour enseigner!

Spontanément, les adultes commentent leurs gestes avec leur bébé, prennent une intonation particulière en lui parlant, répètent en articulant, répondent aux questions, nomment ce que l’enfant désignent… La nature est bien faite.

Des études ont ainsi montré que soumis à des informations délivrées par écran interposé, sans relation avec une personne, les bébés ne retenaient rien de ces informations, au contraire des bébés qui avaient reçu ces informations “en direct” par une personne. En plus d’être réelles, les interactions ont besoin d’être individualisées, ce que ne peut réaliser un enseignant face à 28 ou 30 élèves.

Ainsi, les DVD et émissions soi-disant éducatives n’ont aucun intérêt, et sont même délétères dans la mesure où elles privent le bébé d’un temps de partage social qui est pour lui la seule façon efficace d’apprendre. De plus, l’exposition aux écrans détraque le système attentionnel des enfants. Ainsi, l’auteure a pu repérer au bout de quelques jours de classe à peine, les enfants qui regardaient le plus la télévision. Incapables de focaliser leur attention, ils étaient électriques. Grâce à des échanges avec les parents, elle a pu confirmer que ces enfants passaient au moins 4 heures par jour devant la télévision; le pire, c’est que les parents pensaient bien faire, imaginant que ces programmes allaient développer les compétences, notamment linguistiques, de leurs enfants comme certains programmes s’en vantent. Toutes les études sur le sujet montrent que c’est faux.

L’étayage procuré par l’adulte est donc indispensable aux apprentissages, mais il doit se contenter de donner les clés en laissant l’enfant ouvrir les portes lui-même. Par exemple, pour la lecture, un étayage suffisant consiste à donner à l’enfant la correspondance entre les lettres et les sons, puis à le laisser essayer de comprendre le sens caché derrière une suite de lettres.

L’auteure souligne toutefois à quel point la bienveillance est importante. Anna Bisch et elle ont pris grand soin, tout au long de ces 3 ans, à avoir une attitude empathique, calme et conciliante. Chaque fois qu’un enfant était débordé par ses émotions, elles l’accompagnaient, mettaient des mots sur les ressentis, et lors des conflits, permettaient à “l’agressé” de dire ses émotions à “l’agresseur”, sans que rien ne lui soit demandé, pour qu’il puisse exercer son empathie. Ces postures empathiques furent ensuite observées entre les enfants eux-mêmes.

c) Le mélange des âges

C’est également une des lois fondamentales à respecter pour optimiser les apprentissages, car les enfants plus âgés se mettent spontanément dans cette posture pédagogique avec les enfants plus jeunes, lesquels sont avides d’apprendre de leurs pairs un peu plus âgés qu’eux. Chaque enfant bénéficie donc d’un étayage personnalisé non pas d’une seule personne, l’enseignant, mais d’une vingtaine de personnes. De plus, en “enseignant” à un plus petit, l’enfant plus âgé consolide son savoir! Céline Alvarez a ainsi pu constater que nombreux étaient les enfants qui assimilaient des savoirs sans son aide, simplement grâce au partage avec d’autres enfants, et qu’au lieu de “pousser” ses élèves, elle devait plutôt rester concentrée pour pouvoir les “suivre”.

Le mélange des âges est également facteur de développement optimal de l’intelligence émotionnelle et sociale: les parents des enfants ayant bénéficié de ces 3 ans d’expérimentation témoignaient de la capacité de leurs petits à faire preuve d’empathie, à apporter leur aide aux autres; ils étaient très sociables et polis.

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photo patricialacolla/Pixabay

Enfin, cette diversité d’âge apportait aux enfants un sentiment de cohésion et de sécurité très fort. En entrant pour la première fois dans cette classe, le chagrin de la séparation des petits de 3 ans était remplacé par la curiosité en observant les enfants plus âgés déjà en activité ou en interaction vivante et heureuse. Ils pouvaient s’acclimater à ce nouveau lieu simplement en observant les autres.

d) La motivation endogène

Elle est indispensable pour que l’apprentissage soit efficace. Sans curiosité personnelle, on peut vous engager dans une activité, vous montrer quelques clés, vous n’apprendrez que peu. La motivation endogène vient de l’individu. C’est elle qui le pousse à répéter de nombreuses fois l’activité sans qu’il se lasse ou qu’il voie le temps passer. C’est elle aussi qui active la mémoire.

Elle n’est pas à confondre avec la motivation exogène, celle qui vient de l’extérieur. Typiquement, c’est celle qui nous pousse à apprendre pour obtenir une gratification extérieure: une bonne note, un bon point…

Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, du moment que les savoirs “académiques” (français, maths, géographie…) sont présentés de manière ludique et attractive, les enfants s’engagent dans leur apprentissage, comme l’a démontré l’expérience de Gennevilliers.

e) L’importance de l’erreur

L’erreur est un passage obligatoire dans le processus naturel de l’apprentissage. Les chercheurs sont formels: “Un individu apprend uniquement lorsqu’un évènement viole ses prédictions.”

Or bien souvent, l’erreur est stigmatisée comme une faute, et sanctionnée dès l’école maternelle. L’erreur devrait être neutre, un simple retour d’information. Quand il n’a plus peur de se tromper, un enfant développe une personnalité unique, forte, stable, confiante et créative.

f) La richesse du monde réel et l’importance de la nature

Une salle de classe est un environnement bien pauvre par rapport à la richesse du monde réel. Les enfants veulent jouer dans la nature, faire des plantations, s’occuper d’animaux, participer à l’entretien de leur environnement. Ils veulent découvrir, de manière vivante, les connaissances que l’humanité a développé avant eux: le langage écrit et parlé, les nombres, la géographie, les mystères de l’univers, la musique, l’histoire, les dinosaures, la biologie…

Les enfants d’aujourd’hui sont ainsi particulièrement déconnectés de la nature. Combien connaissent le nom de quelques plantes originaires de leur région, alors que tous connaissent des centaines de logos d’entreprises? Or il est indispensable qu’ils intègrent, dès leur plus jeune âge, les règles fondamentales du vivant, de la nature, pour pouvoir devenir ensuite des adultes respectueux de l’environnement.

De l’herbe, des arbres fruitiers, des fleurs, des animaux devraient remplacer le béton des cours d’école. Les enfants pourraient ainsi apprendre une quantité de chose sur la nature, grâce à son observation. En plantant des graines, en observant les pousses et en soignant les plantes, ils pourraient se reconnecter à la nature.

g) Un environnement riche, mais pas surchargé

De même que l’étayage de l’adulte doit rester ponctuel et limité pour ne pas éteindre la curiosité, l’environnement proposé aux enfants doit être stimulant tout en laissant place à l’imagination. Trop de stimulation finit par stresser l’enfant, dont les capacités cognitives diminuent alors.

h) Prendre le temps de ne rien faire, rêvasser et dormir

Lorsque nous rêvassons, notre cerveau a le temps de réorganiser ses connaissances. Il est donc primordial de laisser aux enfants ces temps de repos, de contemplation où ils “ne font rien”, ces moments où ils sont dans la lune. Car pendant ce temps, le cerveau travaille à plein régime.

Une bonne qualité de sommeil est également indispensable pour laisser au cerveau l’occasion de “ranger” ses connaissances. Les enfants ne montrant pas de signe de fatigue et ne faisant habituellement pas de sieste n’en ont pas besoin pour consolider leurs connaissances. Mais à l’inverse, il faut absolument laisser dormir un enfant dès qu’il montre les premiers signes de fatigue, c’est que son cerveau en a besoin pour graver plus solidement les nouvelles connexions neuronales qui viennent de se créer. Il est intéressant de noter qu’un enfant qui présente des troubles de l’attention et de l’apprentissage peut atteindre les mêmes performances que les autres simplement en améliorant la qualité de son sommeil!

i) Priorité au sens

L’enfant retient ce qui fait sens. Le cerveau, impitoyable, élimine ainsi toutes les informations qui ne font pas sens. Pour preuve, les enfants retiennent immédiatement le son des lettres, qui leurs permettent de décoder rapidement des mots en phonétique. Tandis que le nom des lettres, qui représente une association arbitraire entre un signe et un nom, et qui n’aide pas à déchiffrer les mots, n’est pas enregistré aussi facilement. Il faut ainsi parfois 3 années de maternelle pour apprendre 26 lettres, et moins d’une semaine pour retenir 29 prénoms!

Ce n’est pas apprendre qui épuise l’enfant, c’est effectuer des tâches qui ne sont pas dignes de son intelligence.  Le cerveau de l’enfant cherche le beau, le sens, la vie, le grandiose, l’intelligence, la profondeur; il retient ce qui est inspirant.

j) L’importance du jeu libre

Il est aujourd’hui très clair que le jeu libre entre enfants (se rouler par terre, courir ensemble, chahuter) favorise le bon développement cérébral.

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photo rudyanderson/Pixabay

Les temps de récréation sont un bon moyen de proposer ces temps de jeu libre mais il serait idéal que les enfants puissent pratiquer le jeu libre au moment où ils en ont besoin et pas seulement à heure fixe. Le fait de pouvoir sortir, s’aérer, chaque fois qu’ils en ont besoin, serait également le meilleur moyen de favoriser le bon fonctionnement de leur métabolisme qui a besoin d’être soumis à la lumière du jour pour déclencher la production de certaines hormones, notamment celle du sommeil le soir.

k) La toxicité du stress

Comme je l’ai longuement décrit dans mon article présentant le livre “La science au service des parents” de Margot Sunderland, le stress est délétère pour les connexions neuronales en formation de l’enfant, et ce, d’autant plus qu’il n’a pas encore la capacité de recul nécessaire pour diminuer seul son stress.

Il est donc primordial, d’une part, d’éviter de l’exposer à des situations de stress répétées et prolongées. Crier ou se disputer devant lui représente une source de stress chronique dont les conséquences sur son cerveau sont considérables: la recherche montre que son cerveau s’imprègne d’hormones du stress comme si c’était lui qui était en conflit.

Il faut également éviter les jugements négatifs, les paroles blessantes, et limiter les notations, sources de stress.

En parallèle, il faut aider l’enfant à gérer son stress, notamment en l’aidant à accueillir ses émotions lorsqu’elles le submergent. Il suffit de le rassurer par notre présence bienveillante, et ne pas hésiter à le prendre dans nos bras pour que son cerveau puisse sécréter l’ocytocine qui va éliminer les hormones du stress. Enfin, l’aider à prendre du recul sur son émotion lorsqu’elle est un peu calmée, en lui permettant de la nommer, permet d’accélérer les connexions cérébrales de gestion des émotions: non seulement on diminue son stress mais on lui apprend peu à peu à le gérer seul!

l) La bienveillance

La bienveillance n’est pas un “plus” ou une fantaisie pédagogique, elle favorise le développement de nouveaux neurones et augmente les connexions synaptiques. Vous voulez des enfants intelligents? Aimez-les! Soyez chaleureux, aimants, empathiques, affectueux. De plus, dans un environnement bienveillant, un enfant développe ses capacités morales et empathiques, et son cerveau est régulièrement baigné d’ocytocine qui l’aide à maintenir son stress sous contrôle.

La bienveillance est donc un véritable catalyseur d’épanouissement.

 

2.3. L’esquisse de Gennevilliers

Pendant 3 ans, l’expérimentation a permis de proposer dans une classe regroupant 3 niveaux, des éléments permettant de respecter au mieux, en fonction des possibilités offertes par le lieu, ces lois naturelles que l’on vient d’évoquer. La salle de classe (pourtant grande avec ses 55m²) n’était pas aussi vaste que ce qui aurait été nécessaire pour 25 enfants autonomes et 2 adultes; il n’y avait pas d’accès direct à l’extérieur, qui n’était pas aussi riche de nature que Céline Alvarez l’aurait souhaité. Elle aurait également aimé pouvoir mixer plus d’âges différents, et pouvoir proposer des ateliers en petits groupes animés par des intervenants extérieurs passionnés. Mais les améliorations proposées ont déjà été déterminantes pour le développement des enfants qui en ont bénéficié.

Une centaine d’activités pédagogiques étaient proposées, et les enfants étaient en autonomie, dans le choix des activités ainsi que dans leurs interactions (faire seul, à plusieurs, montrer à un autre enfant…).

A leur arrivée le matin, ils étaient accueillis avec bienveillance, mettaient des chaussons puis allaient choisir une activité, seuls ou guidés par Céline pour ceux qui avaient du mal à choisir. Sinon ils pouvaient simplement rester à observer les autres, ou à se reposer pour ceux qui en avaient besoin. Lorsque tous les enfants étaient arrivés, Céline présentait des activités, entre 3 et 10 chaque matin, de manière individuelle ou en tout petit groupe. Un tableau de suivi lui permettait de savoir quel enfant avait reçu quelle présentation, et de valider discrètement ses acquis en vue de lui proposer une activité différente, ou d’un niveau supérieur. Les enfants ne se sentaient jamais évalués, elle prenait simplement un moment pour qu’ils lui montrent l’activité, et elle se réjouissait de leur réussite. En cas de difficulté, elle reprenait l’activité avec l’enfant, autant de temps que nécessaire.

Lorsqu’un enfant avait terminé une activité, il allait la ranger à sa place puis en choisissait une autre, en totale autonomie. Ils pouvaient aussi aller écouter une histoire lue par les plus grands, ou simplement se reposer.

Les enfants avaient le droit de circuler librement dans la classe, du moment qu’ils le faisaient calmement. Ils pouvaient réaliser leurs activités assis à table ou sur le sol, agenouillés par terre à côté d’un tapis, voire allongés à côté du tapis si cela ne générait pas de désordre. En effet, les enfants apprennent mieux quand le corps n’est pas figé…

Les enfants faisaient donc “ce qu’ils voulaient”, mais pas de manière désordonnée. La classe ressemblait à une ruche bienheureuse, où la seule règle collective consistait à ne pas déranger l’activité de l’autre.

Vers 11h, un temps de regroupement était proposé, au cours duquel l’enseignante soulignait les réussites de l’un ou l’autre. Les enfants n’hésitaient pas alors à rappeler les réussites d’autres enfants!

Puis venait le temps du repas, et celui de la sieste, proposé, sans obligation, à tous les enfants quel que soit leur âge, du moment qu’ils en avaient besoin.

Le temps de l’après-midi n’était pas très différent de celui du matin, hormis l’effectif, un peu moins nombreux du fait des enfants en train de dormir. Vers 15h, Céline proposait une récréation, pas obligatoire (certains enfants préféraient finir leur activité en cours plutôt que de s’interrompre), puis venait en fin de journée un temps de regroupement où les enfants chantaient, faisaient un peu de relaxation et de méditation, pour se centrer sur le moment présent.

Cette expérimentation a permis de montrer que l’autonomie de l’enfant, la liberté dans ses interactions avec les autres, avait augmenté le lien social entre les enfants, qui est resté fort au passage en CP, bien qu’ils aient été affectés à des classes différentes. Ces 3 ans ont également mis en évidence à quel point cette autonomie de l’enfant libère l’adulte. Au lieu de devoir “tenir” une classe, et “pousser” des élèves peu motivés, l’enseignant redécouvre le plaisir de transmettre des savoirs à des enfants joyeux et engagés, ravis de les recevoir, chacun à leur rythme.

Dans cette philosophie, l’adulte est là pour accompagner, pour encourager, et pour protéger la concentration des enfants en maintenant le calme. Lorsqu’un enfant est totalement concentré dans son activité, il faut surtout le laisser terminer tranquillement. En revanche, s’il n’y parvient pas, il s’agit d’être présent pour lui apporter une aide légère, juste le coup de pouce nécessaire pour dépasser le point dur. Comme le précise le docteur Catherine Gueguen, “Quand les expériences vécues sont répétées, les connexions et les circuits cérébraux sont consolidés en 5 ou 6 mois.” La posture de l’adulte est donc à la fois simple et compliquée: patience et lâcher-prise. Si l’enfant ne reproduit pas immédiatement ce que l’on vient de lui montrer, c’est normal. Il a besoin de répétitions, courtes, chaleureuses, sans contrainte ni attentes de la part de l’adulte.

Pour favoriser l’autonomie, l’espace doit être ordonné pour que les enfants puissent s’orienter facilement. A Gennevilliers, l’espace avait été divisé: le coin du langage, celui des mathématiques, etc… et au sein de chaque aire, les activités étaient disposées sur des étagères à des emplacements déterminés. Cet ordre permettait aux enfants de retrouver facilement les activités, tout en favorisant leur rangement ultérieur.

 

3. L’aide didactique

Cette partie du livre présente plusieurs de la centaine d’activités proposées dans la classe de Gennevilliers, ainsi que leurs intérêts pédagogiques. Le matériel utilisé est issu des travaux de Jean Itard, repris par son disciple Edouard Séguin, et étoffé par Maria Montessori. Chaque activité est conçue pour ne présenter qu’une seule particularité que l’enfant peut ainsi explorer sans être distrait par autre chose: par exemple, des barres rouges de tailles différentes que l’enfant peut ordonner selon leur taille dans la mesure où c’est leur unique différence. Ou des cloches toutes identiques en forme et en couleur, qui sonnent chacune l’une des notes de la gamme. Cette limitation des distractions permet en effet d’optimiser les apprentissages.

La présentation d’une activité se fait toujours en 3 temps, selon la méthodologie d’Edouard Séguin:

  • nommer et faire répéter à l’enfant: ça, c’est… (rouge – l’Europe – le do…)
  • montrer en incitant l’enfant à nommer, puis valider en répétant (“quelle couleur – continent – note est-ce?”, “oui, c’est le rouge – l’Europe – le do”)
  • identifier en interrogeant l’enfant: “c’est quoi ça?”

 

Pour affiner les sens, notamment l’acuité visuelle, la classe possédait 4 jeux d’encastrements cylindriques; l’auteur raconte à cette occasion comment il faut respecter les objectifs que les enfants se fixent, même lorsqu’ils nous semblent totalement exagérés. Un petit garçon de 3 ans était ainsi décidé à réaliser le “puzzle” des encastrements cylindriques, en mélangeant les 4 jeux que possédait la classe. Normalement, cet exercice était proposé aux enfants de 4 ans et plus, qui avaient déjà réussi à associer les pièces d’un jeu, puis de 2 jeux, et enfin de 3 jeux à la fois. Céline Alvarez ne le pensait pas capable d’y arriver, car il s’agissait d’un exercice de discrimination vraiment difficile. Mais au bout de 3 semaines à rester sur cette activité tous les matins, il a réussi, avec une fierté non dissimulée, à replacer chaque cylindre dans son emplacement.

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En plus de différents exercices permettant d’améliorer l’acuité visuelle, plusieurs activités avaient été choisies pour mieux écouter (clochettes, boîtes à bruits), pour mieux percevoir par le toucher (tissus d’étoffes différentes, tablettes recouvertes de matériaux différents), et pour mieux sentir et mieux goûter (fleurs, nourriture).

Pour découvrir le monde, deux globes étaient utilisées, ainsi qu’un planisphère. Le premier globe, bicolore, permettait d’introduire la notion du monde, d’eau et de terre. Lorsque l’enfant avait bien compris ces notions, un deuxième globe lui était présenté, qui comportait une différenciation de couleur entre les continents; les notions de continents et d’océans pouvaient alors lui être présentées. Au bout de quelques jours, si les notions de continents et d’océans étaient bien acquises, un planisphère-puzzle des continents lui était présenté, et il était invité à le manipuler, à le reconstituer. Quelques semaines plus tard, le nom des continents lui était donné, trois par trois, en plusieurs jours. Des figurines d’animaux étaient également associées aux continents, ce qui augmentait l’intérêt des enfants. Lorsque l’enfant connaissait le nom de tous les continents, les puzzles de chacun des continents lui étaient présentés, où chacun des pays constituait une des pièces du puzzle. Le nom des pays était ensuite donné, peu à peu. A quatre ans, les enfants avaient une idée très claire du monde et de sa représentation.

Pour la géométrie, la classe disposait de solides géométriques bleus: boule, cône, cube, ovoïde, ellipsoïde, pavé, pyramide à base carrée et à base triangulaire, cylindre. Lorsque, après quelques leçons en 3 temps, les enfants connaissaient tous ces solides, ils pouvaient jouer à 3; 2 enfants plaçaient un sac autour de leur cou contenant tous les solides, et lorsqu’un 3ème annonçait le nom d’un solide, ils devaient le retrouver au toucher dans son sac le plus rapidement possible. Il y avait également des figures planes, de différentes tailles, que les enfants pouvaient manipuler et ranger.

La musique était présentée, d’abord pour la discrimination auditive. Lorsque les enfants savaient replacer les clochettes dans l’ordre, on leur montrait comment coder une suite de sons sur une petite partition. Ils étaient alors capables de décoder et de jouer une suite de notes, et même de créer une mélodie à l’attention d’un camarade, à l’aide de partitions vierges et de jetons faisant office de notes.

En ce qui concerne les mathématiques, Céline Alvarez est partie du constat, fait par la science, que les nouveaux-nés ont déjà des notions intuitives des quantités. Ainsi, comme l’ont découvert des chercheurs, un bébé de 4 mois devant qui on place un objet, puis un autre, dans une boîte opaque, est stupéfait lorsqu’en ouvrant la boîte, il découvre 1 ou 3 objets. A cet âge si tendre, les êtres humains savent déjà que 1 plus 1 fait exactement 2!

Les connaissances mathématiques ne doivent donc pas être construites à partir de rien, mais simplement affinées, pour que l’enfant puisse savoir dénombrer une quantité et y associer un symbole (un chiffre). La manipulation des quantités (soustraire, ajouter), et les ordonner (frise numérique) sont également des outils qui permettent de favoriser une meilleure discrimination numérique.

A Gennevilliers, le matériel utilisé était tout d’abord composé de barres numériques de 1 à 10, chaque unité mesurant 10cm (la barre 10 mesurait donc 1m!). L’enfant était invité à réciter la comptine numérique en passant son doigt d’une unité à l’autre, pour associer nombre et quantité. Lorsque dénombrer était acquis, les symboles graphiques étaient présentés à l’enfant, notamment sur des supports rugueux sur lesquels il pouvait faire courir son doigt, et il pouvait alors associer le symbole avec la barre correspondante.

Lorsque le symbole était associé au nombre, l’étape suivante consistait à présenter à l’enfant des bâtonnets, qu’il pouvait attacher ensemble avec un élastique, pour reconstituer les chiffres de 0 à 10.

Lorsque la numération jusqu’à 10 était solidement ancrée, les enfants continuaient avec 2 tables, permettant d’apprendre les nombres jusqu’à 19, puis les dizaines jusqu’à 90. Les dizaines acquises, l’enfant était invité à construire des nombres comme 42.

Une frise numérique allant jusqu’à 200, faisant tout le tour de la classe, aidait les élèves à se situer dans leur capacité à dénombrer sans se tromper, avec leur photo positionnée au-dessus du nombre atteint.

Ensuite, le code du système décimal était présenté à l’enfant: 1 – 10 – 100 – 1000, en prenant soin d’expliquer qu’une dizaine compte 10 unités, une centaine compte 10 dizaines, et un millier compte 10 centaines.

Le lendemain, l’enfant découvrait les symboles représentant ces grandeurs, puis apprenait à associer grandeur et symbole. Enfin, il avait la possibilité de réaliser des additions de manière très concrète; en prenant les grandeurs dans un plateau, et en y associant les symboles correspondant, puis en réalisant l’addition et enfin en allant chercher les symboles correspondant au résultat.

Les enfants pouvaient alors s’exercer à la multiplication, la soustraction, la division… A 5 ans, ils avaient des compétences mathématiques solides.

Concernant l’entrée dans la lecture et l’écriture, l’auteure est également partie de ce que la science nous apprend du cerveau humain. Contrairement au langage, le cerveau humain n’est pas prédisposé à l’association entre un signe graphique et un son. Il recycle une aire du cerveau initialement destinée à la reconnaissance des visages et des objets, reconnaissance qui migre, au moment de l’entrée dans la lecture, dans d’autres zones du cerveau. Cette aire spécifique du cerveau fonctionne dans la mesure où on fournit à l’enfant explicitement le son; de la même manière que l’on peut croiser 100 fois la même personne dans le métro, tant qu’elle ne nous aura pas été présentée, nous ne connaîtrons pas son nom. Il est donc très peu efficace de présenter des mots assemblés à un enfant en espérant qu’il décode seul le son de chaque lettre (la fameuse méthode “globale”). Au contraire, lui présenter chaque lettre en lui associant le son qu’elle produit permet à l’enfant de très vite savoir décoder quelques mots, qui vont l’inciter à découvrir d’autres lettres.

A noter que du fait de la nature de l’aire cérébrale utilisée, un p et un q représentent exactement la même chose dans le cerveau de l’enfant, de la même manière qu’il sait reconnaître un pot à eau que l’anse soit à droite ou à gauche; s’il écrit son prénom à l’envers, comme dans un miroir, c’est normal: pour lui, c’est la même chose. Ce n’est qu’à force de répétition, et de spécialisation de ses circuits neuronaux en vue de l’apprentissage de la lecture, qu’il saura différencier les lettres symétriques.

Il est donc indispensable de donner à l’enfant le code : un signe, un son. Pour faciliter l’apprentissage, il est utile d’exercer l’enfant à reconnaître les sons dans les mots qu’il entend: cheval contient “ch”, “e”, “v”, “a”, “l”, soit 5 phonèmes. C’est beaucoup plus utile pour la lecture que d’apprendre à reconnaître des syllabes (“che” et “val”) qui ne fait pas sens du point de vue de la découverte du code alphabétique.

A Gennevilliers, le principe suivi a été simple:

  • 1. entendre les sons qui composent les mots, en incitant l’enfant à leur prêter attention (“tu entends “s” dans “sssssssssac”?)
  • 2. donner explicitement leur correspondance graphique, avec des lettres rugueuses qui permettent à l’enfant de découvrir la lettre avec les yeux, les oreilles et les doigts (ce qui améliore notablement la mémorisation), et sans jamais passer par le “nom” de la lettre (“f” fait “fffffff” et pas “èf”), puis en lui proposant de composer des mots, sans porter attention à l’orthographe: “sak”, à ce stade, est donc correct, car l’objectif est d’automatiser peu à peu le codage.
  • 3. augmenter progressivement le niveau de difficulté en lecture, dès que l’enfant, après avoir codé un mot, est capable de se relire (c’est le moment de prêter attention à l’orthographe); l’auteure utilisait ainsi des tickets de lecture, avec des instructions à suivre (comme “chante”), ou des images, ou encore des noms d’objets présents dans la classe, que les enfants pouvaient ainsi aller chercher (comme un code secret!). Après la phase de décodage, l’enfant entre en phase d’automatisation, où le cerveau reconnaît les mots déjà lus et les décode donc de manière beaucoup plus rapide. Lorsque l’enfant savait lire facilement des mots de 3 syllabes, il lui était alors proposé de lire des phrases, de quelques mots d’abord, puis de plus en plus compliquées. Enfin, il avait accès aux livres empruntés chaque semaine à la bibliothèque.

Et grâce à l’apprentissage du code avec des lettres rugueuses, les enfants entraient spontanément dans l’écriture, le geste ayant été répété plusieurs fois avec le doigt.

Les résultats ont largement dépassé les espérances, avec, en fin de 2ème année, la totalité des grands ainsi que 90% des moyennes sections qui étaient entrés dans la lecture, dévorant les albums de jeunesse, les emportant chez eux et préférant même la lecture aux jeux vidéo ou à la télévision!

Il faut dire qu’en plus des présentations réalisées par l’adulte, les enfants entre eux se montraient les lettres, s’aidaient, jouaient à décoder des mots… Et les petits ne se lassaient pas d’écouter les grands leur lire des histoires (avec le ton et des rires), ou de leur demander de leur écrire des petits mots à déchiffrer. Ce qui augmentait bien évidemment la qualité et la quantité des informations reçues chaque jour!

 

4. Soutenir le développement des compétences-socles de l’intelligence

Le cerveau d’un enfant se développe de manière fulgurante pendant ses premières années, en passant par ce que Maria Montessori appelait des “périodes sensibles”. Ce sont des moments que les enfants vivent à peu près tous à la même période, où leur cerveau est plus particulièrement disposé à intégrer des connaissances spécifiques.

Ainsi, au cours de sa première année, un bébé traverse 2 périodes sensibles: celle des sens (qui débute avant la naissance pour se terminer vers 5 ans environ, avec un pic vers 4 mois et une nette décroissance au-delà d’un an), et celle du langage (qui débute également un peu avant la naissance et se termine également vers 5 ans, mais avec un pic beaucoup plus prononcé vers 9 mois, et une décroissance encore plus nette après un an).

La sensibilité à l’ordre, période que l’enfant traverse avec un pic vers 2 ans, est souvent relevée par les parents de jeunes enfants: tout à coup, chaque chose doit être à sa place, avec d’autres qui lui ressemblent, ou utilisée d’une manière et non d’une autre. C’est l’époque où un enfant peut faire une crise parce que la brosse à dent est trop à droite de 3 centimètres; où l’on retrouve des petites voitures alignées sur le bord du canapé; où c’est maman, et surtout pas papa, qui doit s’occuper du bain (ou l’inverse).

jouets ordonnes

photo Caroline/MoiParentBienveillant

Une autre période sensible est celle du développement des compétences exécutives, qui démarre entre 12 et 18 mois, avec un pic très notable entre 3 et 5 ans. C’est le moment où l’enfant nous repousse en disant “moi tout seul”. Il est impératif de le laisser faire! Car au cours de cette période, il apprend à fonctionner de manière organisée, en sollicitant sa mémoire de travail, pour garder en tête son objectif, son contrôle inhibiteur, pour rester concentrer sur la tâche en cours, et enfin sa flexibilité cognitive, pour détecter ses erreurs et les corriger.

Ces compétences sont fondamentales et plus prédictives pour la réussite globale, professionnelle et sociale, que le QI.

Alors, quand un enfant de 3 ans veut passer le balai, mettre ses chaussures ou fermer son blouson tout seul, c’est une manifestation de son intelligence qui veut s’exercer. Empêchez-le de le faire, et son intelligence contrariée se défendra avec une force insoupçonnée (de nombreuses crises peuvent être évitées simplement en le laissant faire ce qui est nécessaire pour qu’il développe son intelligence).

A Gennevilliers, tout fut mis en place de sorte à favoriser l’autonomie des enfants: ils étaient incités à choisir une activité, la ranger après l’avoir utilisée, nettoyer une table pleine de peinture après avoir accroché l’œuvre pour qu’elle sèche, s’habiller et se chausser, se moucher, aller aux toilettes… SEULS.

Pour cela, les gestes étaient montrés, plusieurs fois, en indiquant l’objectif (mémoire de travail), puis en sollicitant l’attention de l’enfant (contrôle inhibiteur) et la plupart du temps en silence pour limiter les distractions. L’enfant était alors laissé libre de s’exercer, bien sûr imparfaitement les premières fois, et même si l’objectif était atteint: tant qu’il s’exerçait c’est que son intelligence avait besoin de cette répétition pour bien encoder le geste. Seulement lorsque l’enfant montrait des signes de découragements, l’adulte apportait son aide, légère: un indice, un coup de pouce pour l’encourager à continuer, seul.

Les activités proposées étaient celles du quotidien: verser de l’eau, éponger, chercher la bonne clé d’un cadenas, visser un écrou sur la vis qui correspond, déboucher des flacons aux fermetures différentes, boutonner des petits boutons, faire des nœuds, découper du papier, coudre…

L’expérience de Gennevilliers montre que plus un enfant développe ses compétences exécutives, plus il est capable de gérer ses émotions et de faire preuve d’auto-discipline. Et plus il entre avec facilité dans les apprentissages!

 

5. Le secret, c’est l’amour

Une étude menée pendant 75 ans sur des adolescents de Harvard et des adolescents de quartiers défavorisés de Boston, tout au long de leur vie, a permis au directeur de l’étude de conclure que “Le message le plus évident est que les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure santé. C’est tout.”

La reliance, la bienveillance, nous inondent d’hormones du bien-être; aussi bien celui qui donne que celui qui reçoit. A l’inverse, la séparation, l’isolement abîment et freinent le développement de l’empathie, notre corps tire la sonnette d’alarme et les systèmes réactifs au stress s’activent. L’être humain est éminemment social. Des expériences, dites “de visage neutre”, montrent un parent, qui après un temps d’interaction normale avec son bébé (sourire, parole, toucher), adopte une expression faciale neutre, en continuant de regarder son bébé mais sans plus aucune réaction. Le bébé commence par essayer d’attirer l’attention de son parent par des mimiques, des sourires, puis constatant que ces stratégies de séduction ne fonctionnent pas, il détourne le regard et se met à pleurer, exprimant une grande détresse.

L’auteure est convaincue que la pierre angulaire de sa réussite à Gennevilliers est l’amour qu’elle a procuré aux enfants, ainsi que sa confiance absolue dans leurs capacités. Les enfants se sont mis à rayonner et ont développé des capacités d’empathie ainsi qu’une profonde confiance en eux.

Cette empathie est d’ailleurs innée, ainsi que l’altruisme. Des chercheurs ont ainsi mis en évidence que des bébés de 14 mois, qui savent tout juste marcher, sont prêts à venir aider un adulte qu’ils ne connaissent pas, sans invitation de sa part, et ce, malgré des jouets mis à leur disposition ainsi que des obstacles qu’ils doivent contourner ou enjamber!

Quant au sens moral, les chercheurs ont constaté que vers 3 ans, les enfants préfèrent aider les personnes gentilles plutôt que celles qui sont méchantes. Ils ont ainsi montré que dès 3 mois, après avoir vu des peluches jouer à se lancer une balle, les bébés se tournent vers la peluche “gentille”, qui a lancé la balle, plutôt que vers la peluche “méchante”, qui l’a gardée pour elle toute seule. A noter que d’autres études ont mis en évidence que les points communs prévalent sur la morale: ainsi, si la peluche informe l’enfant qu’elle aime les même céréales que lui, alors l’enfant la choisit, même si elle a été “méchante”: c’est là toute l’importance du lien, qui permet d’apaiser plus facilement les conflits lorsqu’on souligne nos points communs…

Enfin, des chercheurs ont montré que les enfants qui étaient récompensés après avoir aidé, aidaient moins par la suite que ceux qui n’avaient pas reçu de récompense extérieure!

Connaître ces dispositions naturelles de l’enfant (empathie, altruisme, morale), les nourrir par des comportements bienveillants, et offrir des situations à l’enfant où il a la possibilité d’avoir des comportements altruistes et moraux sont donc les étapes les plus efficaces pour l’aider à développer des qualités morales solides.

Ainsi pour développer ses compétences du “vivre ensemble”, un enfant n’a besoin que… de vivre ensemble! C’est-à-dire en mélangeant les groupes d’âge, en ayant la possibilité de vivre des interactions sociales régulières, tout au long de la journée, avec ses camarades de classe, dans un climat d’entraide et de bienveillance. En lui offrant un environnement riche, où il peut évoluer en liberté et en autonomie, dans des relations de confiance avec les autres enfants et avec les adultes.

Chaque enfant est un être unique, au potentiel qui ne demande qu’à être libéré pour rayonner de toute sa puissance. Cet ouvrage est une invitation à respecter les lois naturelles de l’apprentissage pour l’enfant, pour qu’enfin tout ce potentiel soit apporté au monde.

 

Et maintenant?

Si vous êtes comme moi, et qu’après la lecture de ce livre vous cherchez une école où l’on enseignerait à la “méthode Alvarez”, il existe une carte mise à disposition sur le site de Céline Alvarez.

Mais à la maison, il est déjà possible de modifier nos comportement parentaux, en diminuant les activités dirigées le soir et le week-end, en leur offrant du matériel qu’ils peuvent manipuler (et en limitant tous les écrans et autres jeux vidéos), en les laissant faire seuls chaque fois qu’ils le demandent… Mais surtout en les aimant! En étant là pour eux, pour répondre à leurs questions, pour les aider juste ce qu’il faut, pour leur offrir nos connaissances du monde dont ils sont friands.

Je serais ravie que cet article suscite des vocations chez des enseignants (dont ceux de l’école que mes enfants fréquentent!) et en attendant, je vous invite à partager vos remarques dans les commentaires!

Enfin, n’hésitez pas à partager cet article à tous les parents et enseignants qui pourraient être intéressés par le sujet!

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Quand on respecte les lois qui gouvernent l'apprentissage des enfants, les résultats sont étonnants! C'est le résultat de 3 ans d'expérimentation dans une école maternelle classée en zone d'éducation prioritaire. Au final, des enfants heureux, coopératifs, empathiques, calmes, et capables de lire ou de compter, à l'âge de la grande section, aussi bien que des élèves de CE2!

Quand on respecte les lois qui gouvernent l’apprentissage des enfants, les résultats sont étonnants! C’est le résultat de 3 ans d’expérimentation dans une école maternelle classée en zone d’éducation prioritaire. Au final, des enfants heureux, coopératifs, empathiques, calmes, et capables de lire ou de compter, à l’âge de la grande section, aussi bien que des élèves de CE2!

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2 commentaires sur “Les lois naturelles de l’enfant – Céline Alvarez”

  1. Bonjour Caroline,

    Je suis étonné qu’un article d’une telle qualité n’ait pas été encore commenté !
    Je suis également Céline Alvarez dont j’ai dévoré pendant des heures les vidéos.

    Surtout j’ai mis en oeuvre bon nombre de ses idées dans ma classe de MS. Et ce n’est pas fini !
    Des réserves sur sa méthode ?

    Elle ne parle pas du tout de motricité* (d’EPS*) et la méthode des Alphas est totalement absente au profit des lettres rugueuses.

    Suivre à la lettre sa méthode reste aujourd’hui un irrespect des Instructions Officielles, mais bon …

    L’apport des Alphas est tellement facilitant pour apprendre à lire ! Merci en tout cas pour cet article !

    1. Merci beaucoup pour votre commentaire!
      Hier j’ai eu la possibilité de jeter un œil aux classes de mes enfants (c’est permis le jour de la rentrée, ensuite c’est interdit le reste de l’année, du fait des consignes de sécurité), et j’ai pu constater qu’on était bien loin des préconisations de Céline Alvarez. Peu de matériel à disposition, les tables qui prennent toute la place, un torrent d’affichage sur les murs… A leur retour, après une seule journée, mes grands étaient tellement tendus, énervés… Comment peuvent-ils apprendre correctement dans ces conditions?

      Je suis convaincue qu’un enfant libre de ses activités, qui se challenge, qui coopère, a moins besoin de cette fameuse récré, ou de temps de motricité, que ceux qui doivent rester assis la majeure partie de la journée. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Céline Alvarez a si peu abordé cette question?

      Je ne connais la méthode des alphas que de loin: elle était utilisée dans l’école de l’une de mes nièces. Gé-nial! selon ma sœur.
      De mon côté, j’ai trouvé une méthode alternative pour apprendre les multiplications à mon aîné de 8 ans qui n’arrivait pas à les retenir (il cherchait à les recalculer par addition): Multimalins. Transformer des suites arbitraires de nombres en histoires rigolottes, voilà le pari réussi de cette méthode. Mon aîné connaît ses tables, et mon cadet (5 ans, MS) a retenu les histoires avec une facilité étonnante (il y a un jeu de cartes associé à la méthode, il adore y jouer).
      Merci encore et belle journée!

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